Mathieu Grenier

Au premier regard, les fragments monochromes de Mathieu Grenier – prélevés directement des murs du Musée d’art de Joliette – révèlent toute la froideur clinique de l’espace blanc et aseptisé caractéristique des salles d’exposition. La perfection géométrique et la monochromie des prélèvements font de cette série la trace un peu austère – quoique ludique, aussi, dans son rapport au vide vu l’absence d’images – d’une parcelle de l’histoire de la peinture du Québec : la sélection des œuvres a été faite de manière à reproduire partiellement Au-delà des signes, l’un des volets de l’exposition de la collection permanente de l’institution joliettaine dédié à la modernité picturale.

Les empreintes des œuvres de Marcel Barbeau, Louis Belzile, Paul-Émile Borduas, Paterson Ewen, Jean-Paul Jérôme, Fernand Leduc, Ozias Leduc, Rita Letendre, Alfred Pellan, Jean-Paul Riopelle et Claude Tousignant y sont ainsi montrées de manière quasi scientifique, soumettant le travail du technicien de montage et la surface du mur comme objets d’étude. C’est dans un rapport de proximité avec les œuvres de Mathieu Grenier que l’on constate toute leur complexité, d’où émergent de fins détails : les prélèvements conservent toutes les traces du travail qui relève de l’installation – des marques de crayons aux ajustements qui ont pu être effectués lors du montage, le système d’accrochage et de sécurité, le vestige des installations antérieures, etc. –, gardant intacte la trace physique du dernier tableau que l’échantillon de mur a pu soutenir. Ainsi, si l’extraction des prélèvements tient davantage d’une prouesse technique relevant de l’univers du technicien que de celui du peintre, le sujet reste celui de la peinture.

Les prélèvements étant doublés de cette dimension tant artistique qu’historique et présentés avec la rigueur qui sied à l’ambition muséale, l’artiste confère aux matériaux – peinture industrielle blanche, gypse, crochets, etc. – une certaine noblesse. Réactualisant un héritage à la fois pictural et conceptuel, les préoccupations qui sous-tendent Au-delà des signes prennent également racine dans des pratiques comme celles de Lawrence Weiner ou de Michel De Broin, qui ont tous deux réfléchi le sujet peinture en intervenant sur le cube blanc et sa cloison.
 
La série de Mathieu Grenier offre au regard l’équilibre précaire entre la fragilité des œuvres et le travail, plus rude, nécessaire à leur extraction. L’effritement et les fines craquelures qui fissurent la surface de certains prélèvements dévoilent toute la fragilité de leur condition et ce que l’on tente généralement de contrer : l’effet du temps. L’allure blafarde, presque fantomatique de l’ensemble  évoque l’absence et le vide : les prélèvements rappellent à la mémoire l’un des moments importants de l’abstraction au Québec, tout en la poursuivant par la proposition de monochromes.

Maude P. Hénaire